<<
>>

UN MOT SUR LA QUESTION POLONAISE (1831—1832)

Apres que l'insurrection polonaise eut ete etouffee, ses principaux fauteurs trouverent un asiie en France. Pro- fitant de Tignorance ой Гоп est dans ce pays de l'histoire de la Pologne, ainsi que de sa situation actuelle, ils у pu- rent facilement representer leur folle entreprise, non seulement, comme excusable, mais aussi comme digue d'elo- ges.

Chose singuliere! La position geographique de la Pologne у est meme si peu connue, que Гоп vit un jour Tun des membres les plus distingues de la chambre des deputes proposer serieusement renvoi d'une flotto dans le port do Polangen1 au secours des Polonais insurges. Et cela sans exciter seulement l'lrilarite de ses honorables auditeurs, Les discours prononces recemment au sein de l'assembleo nationale en fav.eur des Polonais, temoignent de la meme ignorance sur la question polonaise proprement dite. Or, voici en peu de mots, la maniere dont cette question se presente a l'esprit impartial e.t bien informe.
  1. Lorsque le nouvel etat, forme par les Slaves nombreux, soumis aux Russes ou Variagues, et qui devait devcnir un jour le vaste Empire de Russie, se trouva consolide sous le regne de Jaroslaw, il comprenait tout le pays situe entre le golfe de Finlande au Nord et la mer Noiio au sud, le Volga a l'Orient et la rive gauche du Niemen a l'Occident. La ligne frontiere qui separait alors les Russes de leurs voisins les Polonais, s'etendait dans les plaines qui longent la rive gauche du Niemen, traversait les pays ou nous trouvons les villes d'Agustovo, de Sedlitz, de Lublin, do Jaroslaw, suivait le cours de la riviere Sann jusqu'au pied des monts Carpates 2. C'est la meme ligne de demarcation qui forme encore de nos jours, la veritable frontiere entre les deux nationalites, russe et polonaise. La population qui habite l'Est de cette ligne parle l'idiome russe et appartient a l'eglise grecque; celle de l'Ouest s'exprime en polonais et prof esse le rit romain.
  2. Les Polonais ne forment qu'une tranche do la grande famille slave.
    Ils ne composaient jadis, et ne composent encore maintenant qu'une population peu nombreuse. La celebre republique polonaise, a l'epoque de sa plus grande puissance n'etait qu'un etat forme de divers peuples, dont les Russes, habitants les contrees connues sous les noms de

Russie-Blanche et de 3 Petite-Russie, constituaient la plus grande force. Cette population russe, annexee к la repub- lique, ne s'etait reunie aux Polonais qu'a condition de jouir de tous les privileges de sa propre nationalite et de sa liberte, droits qui lui furent assures par les fameux Pacta Conventa. Ces droits et ces privileges furent, dans le cours du temps, brutalement meconnus par la Pologne, et con- stamment violes au milieu des persecutions religieuses les plus odieuses. C'est к la suite de ces cruelles souffrances que les provinces russes se detacherent de la republique et vinrent se reunir au groupe des peuples slaves qui s'appela VEmpire de toutes les Hussies. Cette separation commencee pn 1651, consommee vers la fin du XVIII siecle, ne fut que l'effet inevitable des fautes d'un gouvernement oppressif, de l'intolerance du clerge romain, et d'une tendance fort naturcl e de cette fraction du peuple russe a secouer le joug de l'etranger et к rentrer dans le sein de sa propre nationalite.

  1. Apres la defection des peuples russes, la Pologne proprement dite, ou comme on Pappelait alors, Polska koronna, reduite a ses propres forces, ne pouvant plus con- Btituer un etat independant, devint la proie de l'Autriche et de la Prusse. L'Empereur Napoleon la reunit de nouveau et en forma le grand Duche de Varsovie qui, plus tard, prit une part active dans la guerre de 1812 contre la Russie. Les armees russes, ayant fait la conquete du Duche en 1813, l'Empereur Alexandre en incorpora la majeure partie к ses Etats, sous le nom de Royaume de Pologne. Reuni к la Russie par la force des armes, ce pays fut loin toutefois d'etre traite en pays conquis. Russes et Polonais, sur toute l'etendue de notre vaste Empire, possedent les memes droits.
    Le Polonais est entre par le fait de cette reunion, dans le sein de cette grande association de peuples slaves (jui forme 1'Empire, pour у jouir des nombreux avantages qu'un etat puissant dispense naturellement a tous ses mem- bres.
  2. Les provinces occidentales de l'ancienne Pologne, reunies depuis aux Etats allemands, ont du subir l'influen- ce etrang5re au point que la population polonaise est de- venue en minorite, et que tous les jours elles se laissent de plus en plus absorber dans le grand corps germanique: tel est le cas de la Silfisie, de la Pomerania et d'une partie du grand Duche de Posen,
  3. Dans les provinces reunies а ГЕшріге de Russie (non compris le Royaume de Pologne) et que l'on appelait autrefois Lithuanie, Russie-Blanche et Petite-Russie, les Polo- nais composent a-peu-pres la 50-e partie de la totalite de la population. Le reste des habitants est presque exclusi- vement russe. Ces derniers conservent encore parfaitement le souvenir des vexations dont leurs peres furent 1'objet sous le regime polonais et nourissent pour leurs maitres, restes vivants de ce regime, une haine si invetamp;ree que ceux-ci ne doivent en partie leur salut qu'amp; la protection du gouver- nement russe. Parmi les provinces faisant partie de l'Em- pire d'Autriche, la partie orientale de la Gallicie, арреібе autrefois Russie-Rouge et qui professe le rit grec, conserve presque entierement sa nationality et les Polonais у sont loin de jouir des sympathies des indigenes: l'autre partie, celle ou domine le rit romain, se trouve a-peu-pres сотр1ё- tement igermanisee.
  4. La reunion des pays ci-devant polonais dans un seul tout ou le Polonais se trouverait en majority, ne formerait done qu'un Etat tout au plus de 6 a 7 millions, sur lesquels des Allemands et des Juifs se trouveraient encore eparpil- les en grand nombre. La reconstruction d'une Pologne in- dependante, peuplee de cette manure, entouree de grands et puissants Etats, n'offrirait done alors тёте que la chose fut un moment possible, nulle garantie de dur^e.
    Vouloir reunir a ce royaume les provinces ci-devant polonaises, habitees maintenant par des populations presque entierement germanisees, et faisant deja partie de la confederation allemande ne serait ni juste, ni praticable. Demembrer la Russie, en lui arrachant par la force des armes ses provinces occidentales, rest?es russes par leur sentiment national, serait une entreprise insensee. La conservation de ces provinces est d'ailleurs pour la Russie une question vitale, Le jour ou Гоп tenterait d'accomplir ce projet, elle s'ele- verait en masse pour у resister et Гоп verrait se produire au grand jour toutes les puissances de son esprit national, II est тёте probable que ces provinces еИеэ-тётез s'y opposeraient de toutes leurs forces, tant a cause du souvenir hereditaire de la longue oppression qu'elles souffrirent, qu'a cause des nombreux et puissants int^rets qui les at- tachent a l'Empire.

  1. Contre une separation du royaume actuel, pour en faire le noyau d'une Pologne independante, en admettanl meme l'assistance de quelques etats de l'Europe, proteste- rait plus d'un Polonais eclaire, convaincu qu'il serait que le bien-etre des peuples ne saurait trouver son parfait developpement qu'au sein de grands corps politiques, et que le peuple polonais en partiqulier, slave de race, doit parta- ger les destinees du peuple frere qui peut verser dans la vie des deux peuples tant d'elements de force et de prosperity.

8. II faut enfin se rappeler que, dans l'origine, l'Empire de Russie ne fut qu'une reunion de differents peuples slaves, qui prirent cette denomination d'apres les Russes im- migres, ainsi que nous l'apprend la chronique de Nestor, qu'a cette heure encore c'est toujours la meme association politique, qui, embrassant les deux tiers de toute la race slave, jouissant seule parmi les peuples de la meme origine d'une existence independante, represente veritablement l'element slave, dans toute sa purete.— Unis a ce grand corps, les Polonais, non seulement n'abdiqueraient point leur nationality, mais ne feraient de la sorte que la 4 con solider davantage, tandis qu'en se desunissant ils tomberai- ent inevitablement sous l'influence germanique dont une grande partie des Slaves occidentaux ont deja subi Taction absorbante.

<< | >>
Источник: П.Я.ЧААДАЕВ. Полное собрание сочинений и избранные письма. Том1 Издательство  Наука  Москва 1991. 1991

Еще по теме UN MOT SUR LA QUESTION POLONAISE (1831—1832):