ИЗ ПЕРЕПИСКИ Г. В. ЛЕЙБНИЦА и И. БУВЕ JOACHIM BOUVET A CHARLES LE GOBIEN POUR LEIBNIZ Peking, 8. Nov. 1700і
Quoique quelques-uns croyent que 1'Y-king le plus ancien ouvrage de la Chine, et peut etre du monde, et la vraie source d'ou cette nation (au sentiment de tous les Savans) a tire toutes ses sciences et coutumes, ne contient qu'une doctrine corrumpue, pleine de superstitions et sans aucun fondement ou principe solide: Je ne suis pas de leur sentiment, et je suis meme persuade qu'ils se trompent, et qu'ils font injure aux anciens Chinois qui paroissent avoir eu dans le commencement une Philosophie aussi pure et aussi saine, et j'ose ajouter peut-etre encore plus solide et plus parfaite que n'est aujourd'hui la notre.
J'avoue que cette v6rite n'est pas aisee і persuader d'abord к ceux qui ont lu la plupart des livres que les Chinois estiment le plus, comme les King ou livres classiques avec leurs meilleurs commentaires, surtout ceux, qui ont ete faits par leurs plus grands hommes sur Г Y-king que je confesse etre rempli de beaucoup d'erreurs et d'une espdce de divination purement superstitieuse.
Mais d'un autre cote, on ne peut nier, que parmi toutes ces erreurs, on ne voye briller en cent endroits certains traits d'une lumiere si vive et si pure, que pour peu qu'on se donne la peine de les ramasser et de les comparer les uns avec les autres, on ne s'aperfoive aussitot par le raport et la liaison r6ciproque qu'ils ont ensemble; et par la parfaite conform^ qu'on у trouve avec ce qui nous reste de plus admirable de la sagesse des anciens, qu'ils sont sortis de la meme source, et que ce sont comme ceux- la autant de ргбсіеих restes du dёbris de la plus ancienne et plus excel- lente Philosophie enseignee par les premiers Patriarches du monde к leurs descendans, et ensuite corrumpue et pres-qu' enticement obscurcie par la suite des tems.
Ce qui s'accorde parfaitement avec le sentiment general et unanime de veneration et d'estime que les Savans de la Chine ont eu depuis trois ou quatre mille ans pour leurs premiers Peres, qu'ils disent avoir possede les sciences dans un souverain deg^ de perfection, comme /rArithm6tique, la Musique, Г Astronomie, ou Г Astrologie, et la Medecine ou Phisique; et qu'ils ont toujours cru pouvoir recouvrir dans le meme degre de perfection, s'il s'etoit trouve quelqu'unparmi eux assezheureux pour developer les misteres de I'Y-king ou pour mieux dire du systdme que leur premier Legislateur Fo-hii leur a laisse dans cette figure celebre, composee de 64. caracteres, et de 384. petites lignes entieres et brisees diversement combinees entre elles, dans laquelle ils ont toujours dit et supose que ce Prince des Philosophes avoit renferme toutes les sciences.С'est en partie sur ce temoignage universel de tout ce que la Chine a eu de savans hommes depuis plus de quatre mille ans, et en partie sur le raport merveilleux, que j 'ai trouve en cent endroits des livres Chinois, de leurs idees et de leurs principes aux idees et principes de nos anciens Sages sur toutes les sciences et meme sur la Religion; que m'etant persuade que c'etoit tres probablement toute la meme chose du moins quant к l'origine, et qu'il se pouroit peut-etre bien faire que la figure du systeme de Fo-hii fut comme un simbole universel invente par quelque genie extraordinaire de Pantiquite, comme Mercure Trismegiste, pour representer aux yeux les principes les plus abstracts de toutes les sciences, c'est-a-dire sur ces fondemens que je me suis aplique depuis quelques annees a considerer cent et cent fois cette figure ingenieuse. Et parceque tous les commentaires, qui ont ete faits depuis pres de trois mille ans sur ce systeme par de tres grands hommes, dont Confucius a ete un de principaux, paroissent plus propres, pour en embrouiller et obscurcir davantage le veritable sens, que pour en developper le mistere, ayant laisse a part tous ces commentaires, et mutant attache uniquement к la figure, je Pai consideree en tant de sens differens, qu'apres avoir combine et recombine ce qui m'a paru de plus solide dans les principes des sciences Chinoises avec les principes les plus anciens de nos sciences, j 'ai fait par le moyen des nombres, qui sont la base de ce systeme, Panalise de la figure de Fo-hii d'une maniere si heureuse, que je ne doute point que je n'en aye enfin decouvert tout le mistere, ou du moins une route tres sure et tres ais6e pour у arriver, et que je suis a present persuade, comme les meilleurs disciples que Fo-hii ait jamais eu a la Chine, que son systeme renferme effectivement toutes les autres sciences.
A en juger par Panalise que j 'en ai faite, ce n'est autre chose qu'une m6taphisique numeraire, ou une m6thode generale des sciences tres parfaite, et dressee non seulement suivant les regies des trois sortes de progressions des nombres, mais encore suivant celles des figures et proportions de la Geometrie et les loix de la Statique, toutes egalement necessaires pour batir un systeme aussi simple et aussi propre que celui-ci, pour mettre de l'ordre dans toutes les sciences, et pour rendre raison de tout ce que nous admirons dans les ouvrages du Createur qui, selon le temoignage de la sainte Ecriture, у a observe toutes ces regies et les a tous fait in numero, pondere et mensura.Pour faire voir en passant a ceux qui ont connoissance de la Philosophic des nombres (qui est proprement la science de ce syst?me) que les choses que j'avance ne sont pas de simples conjectures, je vous dirai qu'il consiste dans une double suite de nombres, plans et solides, telle- ment enchaines entre eux par toutes les consonances de la Musique, et par une harmonie perp6tuelle, que quadrant exactement avec les 64 ca- ract?res et les 384 petites lignes de la figure, il[s] represented les perio- des avec toute Г harmonie des mouvemens celestes, et outre cela tous les principes necessaires pour expliquer la nature et les propriamp;es de toutes choses, les causes de leur generation et de leur corruption, fournissant en meme tems tout ce qu'il faut non seulement pour retablir l'ancienne Musique de la Chine perdue depuis 15. ou 20. siecles tout au moins, mais encore pour recouvrer ce que nous avons perdu de celle des Grecs dont les trois genres ou systemes, savoir la Diatonique, le Chromatique, et PEnharmonique, peu connus de nos jours avec tous leurs modes, se trouvent dans toute leur etendue, places et arranges dans ce systeme d'une maniere si naturelle et si admirable, qu'il suffit de jetter la vue sur quelques figures que j'ai dressees de ces memes nombres, pour resoudre avec evidence, et sans aucun embarras, les problemes de la Musique, les plus difficiles qui ayent et6 agites depuis plus de 1500. ou deux mille ans tant a la Chine qu'en Europe parmi les Savans.
Au reste le raport singulier que ce systeme numeraire me paroit avoir dans son tout et dans ses parties avec celui de Pythagore et de Platon, assez mal entendu dfes le tems de Ciceron, puisque ce grand Orateur, quelque intelligent qu'on le crut dans ce grenre de Philosophie, voulant marquer l'obscurite de quelque chose, disoit idnumero Platonis obscurius, ce report, dis-je, me fait croire, que с'est en effet le meme systeme, et que les nombres du systeme de Fo-hii sont ces nombres du systeme de Platon, ou Ciceron trouvoit une si grande obscurite.
Que si outre cela ces memes nombres conviennent encore avec les nombres du Sabat, et des annees jubilaires des Hebreux, et avec les autres nombres misterieux de leur ancienne Kabale, non de la moderne, qui est pleine de superstitions et d'erreurs, comme je trouve qu'il conviennent tres exactement, il me paroit comme hors de doute, que ce systeme de Fo-hii, et l'ancienne Philosophie de la Chine, prise selon les principes l?gitimes et solides, etant si conforme a la Philosophie du divin Platon, et к celle des anciens Hebreux, c'est-a-dire de Moise et des an- ciens Patriarches, qui ont re?u cette doctrine comme par revelation du Createur, ne peut ni ne doit point passer pour une science superstitieuse et corrompue, mais qu'elle doit au contraire etre regardee comme un instrument 1гёs propre pour refonner toutes les erreurs et superstitions, ой Г ignorance de cette legitime et solide Philosophic dans laquelle les Chinois sont tombes par la suite des terns les a malheureusement precipites.
Je concluds de-la que ceux des Missionaires qui pour procurer la conversion de cette nation; employent tout leur esprit et la meilleure partie de leur tems к l'6tude des livres Chinois, au lieu de s'apliquer, comme a fait jusqu'ici M.
Maigrot, к present Monseigneur de Conon, a faire voir par l'autorite des Philosophes du moyen age depuis Confucius, lesquels en perdant comme ils ont fait pour la plus part les principes de la doctrine de Fo-hii, c'est-i-dire leur saine et legitime Philosophic, ont aussi presque tous perdu la connoissance distincte du vrai Dieu, et du veritable culte dont leurs premiers peres l'honoroient, au lieu, disje, de s'apliquer uniquement к prouver que la religion de cette nation a 6te de tout tems une pure superstition et un vrai atheisme, ce qui ne se peut soutenir d'un cote sans autoriser nos pr6tendus ath6es d'Europe par l'exemple d'une nation entiere, qui depuis si longtems tient pour plusieurs raisons comme le premier rang dans toute Г Asie; et du cfite des Chinois, non seulement sans faire injustice a cette nation, mais encore sans mettre un obstacle presqu'invincible к sa conversion 6tant presqu'impossible dans cette suposition de Pobliger a abandonner toutes le[s] pratiques et coutumes que M. Maigrot a condamn6 de superstition et d'idolatrie, et meme le l'entreprendre sans s'exposer a un danger evident et prochain de miner en un moment l'ouvrage de plus d'un siecle, comme M. Maigrot doit Г avoir reconnu depuis quelques mois lui-meme par sa propre experience dans un tumulte arrive a cette occasion, et qui a failli a devenir fbnest к tout le Christianisme.
Au lieu done, dis-je de prendre une voye si peu convenable a la fin, que le saint Siege, et la sacree congr6gation Messeigneurs les Prelats et Vicaires Apostoliques, et tous les Missionaires se proposent, le moyen le plus raisonnable, le plus sur, et le plus efficace, a ce qui me paroit, seroit que tous les Missionnaires s'etudiassent de concert к faire voir aux Chinois les erreurs et contradictions de leur Philosophie moderne en les ramenant peu к peu, comme Dieu aidant, il n'y aura rien de plus naturel et de plus ais6, aux principes solides de la vraie et tegitime Philosophie de Fo-hii, leur premier maitre, en quoy cette nation, toute superbe qu'elle est, faisant profession de suivre les lumieres de la droite raison, auroit d'autant moins de peine de nous ?couter qu'elle recon- noitroit eile-meme qu'un changement si raisonnable n'auroit rien d'humiliant pour elle, et que cela ne feroit au contraire que Pattacher davantage a la puret6 de son ancienne doctrine, et a ses premiers maitres, pour qui elle a toujours eu une si grande уёпёгайоп.
Aprfes cette ddmarche par la liaison si n?cessaire qui se trouve entre les principes de la vraie Philosophie et ceux de la vraie Religion, on voit assez de quelle facility il seroit de faire reconnoitre aux Philosophes Chinois les absurdit6s de l'ath6isme, et de toutes leurs autres erreurs et superstitions, et Poposition formelle qu'a tout cela avec cette Philosophie ancienne dont ils auroient compris la certitude, et de les porter ainsi doucement et sans aucune violence a les retrancher, comme ils feroient sans doute d'eux-memes assez excit?s par la honte, qu'ils auroient qu'on les vit adh6rer plus longtems contre leurs propres principes к des erreurs si grossieres.
Tous ces grands obstacles au Christianisme etant une fois eloigns de l'esprit et du coeur des Philosophes par une voye aussi douce et aussi efficace que celle-la, quoi de plus aisё apr?s cela aux Missionaires que de leur inspirer Pestime pour les dogmes sublimes de la foi, et pour les saintes maximes de PEvangile, qu'ils 6couteroient alors avec admiration, et enfin avec plaisir comme une doctrine toute c61este, et qui mettroit le souverain degr6 de perfection aux verites naturelles de leur Philosophie, et к la puret? de leur morale.
Pour passer encore plus avant, si quelques-uns de nous entreprenoient a present de r6tablir les sciences de la Chine, et de les mettre dans leur ancienne perfection, й quoi je vois une grande facilit6 par le moyen du ву81ёте de Fo-hii, dont je viens de donner une petite id6e, je puis dire qu'un petit ouvrage de cette nature, qui plairoit infiniment a l'Empereur, et outre son aprobation lui feroit encore donner celle de tous les Savans du Coltege Ітрбгіаі, auroit bientot cours dans tout l'Empire, et у seroit regard? comme la doctrine de l'Etat: de sorte que comme les Missionaires en у travaillant n'auroient pas manqu6 par un saint artifice d'y mettre tous les ant6c6dens necessaires pour l'etablis- sement du Christianisme dans tout PEmpire, on pouroit esp6rer avec beaucoup de fondement, que cela donneroit un jour, comme le branle a la conversion g6n6rale de cette nombreuse nation.
A Peking le 8 de Nov 1700.