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JOACHIM BOUVET A LEIBNIZ1 A Peking ее 4e de novembre 1701  

Monsieur

Vous ne vous attendez pas sans doute de recevoir si tost reponse a la trop obligeante letre que vous m'avez fait l'honneur de m'ecrire le 15ede f6vrier de la presente annee.

La diligence qu'a fait le vaisseau qui me Га apportee, jointe a celle de la personne к qui on Га remise en arrivant, pour me la faire tenir, a este telle, que j'ai encore le loisir qu'il faut pour vous en marquer ma trhs humble reconnoissance par le mesme vaisseau. J'ai este sensiblement touche d'apprendre l'incommodite qui vous a oblige de faire le voyage de Boheme. Je ne l'ai pas este peu aussi de la mort du Plr]e Kochanski que vous avez pris la peine de m'annoncer. Mais да este en mesme temps pour moy une joye toute particuliere d'apprendre que Sa Majeste Serenissime le Roy de Prusse a erige une nouvelle Societe des Sciences, dont il vous a donne la direction. Le zele que vous faites paroistre depuis long temps pour tout ce qui regarde la Chine, et en particulier pour le Progrez de 1'Evangile, merite assurement que la Chine prenne elle seule autant de part a cette nouvelle que toute l'Europe, qui sans doute у en prend beaucoup. L'unique peine que j'ai en cela, est de voir, que les grand talens, que le ciel vous a donnes pour les affaires les plus importantes, comme pour les Sciences les plus pro- fondes, vous attirent des occupations qui priveront la republique des Sciences, d'une bonne partie des grands avantages, qu'elle peut attendre de vos doctes meditations.

Ce que vous touchez en deux mots des nouvelles decouvertes, faites par vous et par d'autres, sur les principes de vostre nouvelle Analyse des infinitesimales, a fort pique ma curiosite. Si le capitaine qui commande le vaisseau sur lequel le F* De Fontaney est retourne du port Louis к Canton en cinq mois et quelques jours de navigation, avoit suivi le conseil si sage que vous avez donn? к d'autres d'observer le barometre pour pr6voir les tempestes; il auroit eu le plaisir d'en profiter, et n'auroit pas perdu tous ses mats, qu'un typhon imprevu lui enleva, en mettant le vaisseau a deux doigts de sa perte, quelques jours avant de surgir au port.

Nous avons donne avis к l'Empereur de la Chine de la nouvelle que vous avez pris la peine de me mander de la d6faite entiere de 1'Armee du Tzar par celle du Roy de Suede.

L'Empereur a este ёиgt;ппё que la

Suede avec des forces si in€gales ait remporte un si grand avantage sur les moscovites. Mais dans le fond cela ne paroist pas lui avoir donne aucun ennui. Je souhaite que les soup?ons du Tzar ne ruinent point des projets que vous faites en faveur de la Chine par la voye de la Moscovie.

Quoy que vous ne m'eussiez point parie dans vos lettres precedentes, de vostre nouveau Calcul numerique, Monsieur, ce que j'en avois oui dire en general к quelqu'un de mes Amis, qui en avoit oui parler, m'avoit cause un grand desir, d'en apprendre quelque chose de vous mesme. Mais ce que vous avez eu la bonte de m'en mander dans vostre derniere lettre a surpasse mon attente, et a excite dans moy une vraye passion d'en pouvoir apprendre de vous mesme toute l'economie, non seulement pour le saint usage que vous apprennez a en faire en faveur de la Religion, qui est le principal motif qui la doit faire estimer sur tout к des gens de ma profession: mais encore к cause du merveilleux rapport que je trouve qu'ont vos principes avec ceux sur quoi je me figure qu'estoit fondee la science des nombres des anciens Chinois, et les autres sciences dont ils ont perdu la connoissance, et entr'autres la physique, ou la science qui enseigne les principes et les causes de la generation et de la corruption des toutes choses en quoy les anciens sages de la Chine trouvoient toute la mesme analogie que dans les nombres, dont toute la science estoit fondee sur un systeme, qui n'est en rien different de vostre table numeraire que vous etablissez pour fondement de vostre Calcul Numerique, d'oii vous passez comme les Chinois de la generation des nombres к la production des choses, en gardant la mesme analogie dans l'explication de l'une et de l'autre.

Au reste je ne parle ici que de la Table numeraire к la quelle vous joignez la progression geometrique double, que les Chinois ont choisie comme la plus simple de toutes, et celle qui contient la plus parfaite harmonie.

Et pour vous faire voir, Monsieur, que cete Table est sans у rien changer la mesme chose que le systeme des colia, ou petites lignes du prince des Philosophes de la Chine je veux dire de Fo-hii, je vous demande trois choses que vous m'accorderez assurement sans peine.

1° Je vous prie de pousser vostre Table numeraire (qui dans vostre letre n'est continuee que jusqu'au 5e degre de la progression geometrique double, c'est к dire jusqu'au nombre 32) de pousser dis-je vostre table jusqu'au 6e degre de cete mesme progression, c'est к dire jusqu'au nombre 64, ou plus tost jusqu'au nombre 63 seulement, puisque 63 avec le zero qui est к la teste de la progression fait 64. Vostre Table par 1'augmentation de ce degre de la progression double, estant allongee d'une moitie, je vous prirai 2° de supposer que tous les гёго qui sont comme les images du neant, ou des imperfections, sont changes en autant d' I brises comme vous voyez dans cete parentheze (!) et que toute vostre table est composee seulement de petites lignes епйёга et bhsees, comme celle de Fo-hii. Apres cete supposition je vous prie 3° de couper vostre table en deux moitiez dont chacune contiendra 32 rangs chacun de 6 petites lignes entieres ou bi^es: et de les dresser proche Tune de I'autre comme deux colonnes, de ташёге, que les deux extremitez, qui se touchoient avant la section, soient dans une situation 0рр08ёе. Cela fait courber l'une vers I'autre en demi cercle ces deux colonnes nun^raires, en telle sorte que les deux extremes 5ирёпеиге5 s'unissent ensemble, aussi bien que les deux ех1гёткёг Мёпеиге8, puis comparez cete figure avec la figure circulaire Chinoise que je vous етюуё, et voyez si vous у remarquerez quelque diffёгence; et si vous n'y ctecouvrirez pas toute cete merveilleuse harmonie qui se trouve dans vostre table.

Cete figure est une des deux figures de Fo-hii qui par Г art admirable d'une science сошоттёе (a la quelle vous semblez prendre le droit chemin pour faire remonter les hommes, qui Г ont perdue depuis plus de 30 ou 40 siecles) avoit s?u renfermer comme sous deux symboles gёnёгaux et magiques, les principes de toutes les sciences et de la vraie sagesse.

Et ce grand philosophe dont la physionomie n'a rien de Chinois, quoy que cete nation le reconnoisse pour l'Auteur des sciences et le fondateur de la monarchie, avoit basti ее 8у81ёте de sa figure circulaire ce semble pour calculer et connoistre exactement toutes les рёг^е5 et mouvemens des corps celestes, et donner des connoissances claires de tous les changemens qui par leur moyen arrivent continuellement et successivement dans la nature.

La 2^ figure que vous voyez renferntee dans la lre et qui est une espece de quarre magique, est la mesme que la ргепнёге pour les mem- bres qui la composent; mais ^s diffёrente sans doute pour la situation de ses parties et pour les usages, auquels Fo-hii qui en est FAuteur les a fait servir; et qui ne sont et n'ont est€ connus de personne, non plus que ceux de la ргегтёге figure, peut estre depuis le commencement de cete ancienne monarchie, les divers commentaires qu'on en a fait en diffёrens temps, mesme avant Confucius, n'ayant servi qu'i-t en rendre Flntelli- gence plus obscure.

Que si vostre Table numeraire est absolument la mesme que celle que Fo-hii a employee pour former son 8у51ёте (qui passe chez tous les savans pour un syst6me de nombres) comme vous le reconnoistrez vous mesme, des que vous aurez compare Tune avec I'autre, vous reconnoistrez peutestre aussi en mesme temps, Monsieur, que la science a la quelle vous trouvez avec raison que l'ordre naturel et harmonique des nombres de cete Table continuee selon les degrez de la progression geo- metrique double, donne de grandes ouvertures, ne doit pas passer pour une nouvelle science au moins к la Chine, puisque le 8у81ёте des petites lignes qu'on attribue au fondateur de la plus ancienne monarchie du monde semble n'estre autre chose que cete science dont I'invention ne doit pas laisser de vous attirer en Europe la mesme gloire parmi les savans, que si jamais personne au monde n'y avoit pense.

Pour moy, qui en meditant assez long temps sur le systeme des petites lignes, qui passe ici depuis tres long temps pour un enigme inexplicable, ai cru entrevoir l'economie, la beaute et l'etendue de cete science, comme vous aurez pu apprendre par une lettre que j'ecrivis I'an passe en France sur ce sujet et que je priai le F* Le Gobien qu'on vous communiquast; je vous avouerai que la conformite de vostre invention avec cet ancien systeme, qui est la chose que j'estime le plus au monde en fait de science, a beaucoup releve dans mon esprit la haute estime que j'avois pour vostre personne; et me fait esperer qu'en ouvrant ces nouvelles routes a nos savans, on pourra un jour recouvrer la connoissance du vrai systeme de la nature et de toutes les autres sciences, telle h peu ргё8 que l'ont eue autres fois les premiers Patriarches du monde soit qu'ils l'eussent obtenue comme par un don gratuit du ciel; soit qu'ils l'eussent aquise avec le temps par la force de leur genie et par l'assiduite et la longeur de leur travail.

Estant dans les principes ou vous estes, Monsieur, je ne suis nulle- ment etonne du dessein de characteristique que vous proposez, pour peindre les pens6es de maniere que les mesmes caracteres servissent tout a la fois a calculer et a demontrer en raisonnant etc.: car ce genre d'ecriture me paroist renfermer la veritable idee des jeroglyphes anciens et de la cabale des Hebreux, aussi bien que des characteres de Fo-hii, le quel est regarde a la Chine comme le 1er auteur des lettres ou jeroglyphes de cete nation pour la formation des quels on dit communement qu'il employa les 64 combinaisons des lignes entieres et brisees de son systeme, les quelles sont comme autant d'expressions differentes de nombres. Mais comme les Chinois ne connoissent nullement la valeur des nombres cachez sous ces expressions ou symboles algebraiques, et consequemment qu'ils ignorent entierement les rapports que leurs characteres avoient avec ces premiers symbols, ils se sont tellement alte- rez et corrumpus par l'usage vulgaire, auquel ils sont employez depuis si long temps, qu'il en reste tres peu qui se soient conservez assez entiers, pour pouvoir estre referez a leur vraie et premiere origine; de sorte qu'il me semble que le plus court moyen de restablir cete ancienne characteristique dont 1 'idee me paroist assez semblable a la vostre, seroit premierement de restablir le systfeme de Fo-hii et d'employer la progression g6ometrique double comme lui pour donner une Metaphysique naturelle, et pour rediger dans un ordre ^s simple et tres naturel toutes les idees к leurs genres et a leurs especes rangees par degres plus ou moins universels comme dans un arbre genealogique, dont toutes les divisions et subdivisions des branches depuis le tronc jusques aux derniers rameaux, seroient faites en suivant cete progression double.

En sorte

1° que le point (.) qui est le signe le plus simple qu'on puisse imagi- ner pour representer l'unit6, soit le signe characteristique du ler Principe et de l'Estre transcendant et serve a representer le plus simple, le plus parfait, et le plus fecond de tous les estres.

2° Les deux genres qui prcx?dent immediatement du ler principe, savoir le parfait et l'imparfait(a} soient representez par les signes du nombre binaire et du nombre ternaire (..) (...) ou par deux petites lignes; l'une entiero et signe du nombre parfait et impair trois, et consequemment tres propre pour representer le genre universe! des choses ou des idees parfaites: et l'autre

brisee,              et signe du nombre pair et imparfait et propre к representer le

genre des choses, ou des id6es imparfaites.

3° Puisque suivant la progression geom6trique double, le 2ond degre de generation est quatre, 1 produisant 2: et 2 produisant 4: les deux genres du ler degre, savoir le genre parfait, et le genre imparfait doivent produire quatre genres subalternes, deux subordonnez к chacun des deux genres sup6rieurs, savoir le genre plus parfait et moins parfait, avec le genre plus imparfait et moins imparfait, qu'on peut representer

a Randbemerkung von Bouvet: J'entens ici par Imparfait, поп Г Imparfait absolu mais Г Imparfait respectif, comme le repos par raport au mouvement, le froid par rapport au chaud etc.

simplement et naturellement par de doubles lignes en cete maniere =.=l=.=¦=.= = . ou bien par ces caracteres de vostre table 11. 10.01.00, qui reviennent au mesme.

4° Dans la progression geom6trique double le 3C degre de generation estant 8, double de 4, le 3e degre de generation des genres des choses ou des idees en doit contenir 8 savoir deux subordonnez к chacun des 4 genres sup6rieurs, et differenciez entre eux par les idees simples de plus et de moins; par exemple pour rendre la chose sensible dans le sujet des Couleurs, dont la lumiere et Fombre sont comme les deux genres ou principes universels, le genre lumineux dans un degre plus intense, produira le genre blanc; et dans un degre moins intense le genre de couleur jaune: et Fombre au contraire, dans un degre plus intense produira le noir, et dans un degre moins intense, le bleu, qui sont comme les 4 couleurs elementaires. De ces 4 couleurs qui sont comme 4 genres par la seule difference du plus et du moins, il en naist huit autres, qu'on peut distinguer par des noms, qui marquent leurs genres et leurs differences comme plus et moins blanc, plus et moins jaune, plus et moins bleu, et plus et moins noir. Et Fidee de ces huit genres, ou sortes de couleurs, peuvent estre tres bien representees, et d'une maniere egalement simple et naturelle, par les 8 combinaisons de 3 lignes, pour marquer le 3e degre de generation en cete maniere

 

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Источник: Лейбниц Г. В.. Письма и эссе о китайской философии и двоичной системе исчисления. — М.,2005. — 404 с.. 2005

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